Après l’attentat du 14 juillet – un texte de Petra Palermiti

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Si elle ne s’était pas appelée Flora, je n’aurais pas rêvé de fleurs
Etait-ce un homme qui projetait ses angoisses psychotiques, était-ce un terroriste ? Il me semble que cet homme a agi son cauchemar, comme ces cauchemars sanglants que je trouve dans les dessins de certains adolescents psychotiques avec qui je dessine et je peins régulièrement.
Freud ne nous a pas parlé de ses cauchemars seulement de ses rêves. Une « Monographie botanique » lui sert de matériau pour former un rêve qui concerne « Flora ».
Ces jeunes m’ont montré comment ils se figurent leurs angoisses psychotiques : des  couteaux avec des flaques de sang, des têtes coupées et aussi des véhicules meurtriers. A défaut de rêver, au moins ils peuvent élaborer un cauchemar.
Je suppose que cet homme n‘a pas pu transformer ses souffrances en cauchemar… sauf avec Daech. Daech s’est servi de lui  et cet homme s’est servi de Daech pour faire de ces angoisses innommables un cauchemar, cauchemar qui l’a tué avec ses victimes.
A la Cellule de soutien médico-psychologique de Lenval à Nice où j’étais le vendredi, nous avons reçu des personnes qui voulaient participer à l’une de ces fêtes qui nous font oublier les tensions dans la société. Etait loin de leur esprit le fait que les barbares ont toujours existé.
Elles nous ont raconté comment ce camion leur apparaissait irréel, comme surgi d’un fantasme. Certaines d’entre elles seulement ont compris qu’il s’agissait de la réalité. Une jeune fille me disait : « Le camion arrivait derrière moi. C’était comme dans les « Dents de la Mer ».
Pour d’autres c’est leur histoire personnelle qui a été réactivée. Une famille fuyant la guerre avait cherché refuge en France et s’est sentie rattrapée par l’histoire. C’était la répétition d’un traumatisme ancien.
Nous avons reçu des familles entières. Leur solidarité les a réconfortés. Certaines mères, certains pères n’ont pas lâché la main de leur enfant ou l’ont poussé pour éviter le camion.
Mais à côté de l’affirmation de leurs liens, beaucoup d’entre eux avaient aussi besoin d’être entendu dans leur singularité. Les parents se sentaient coupables d’avoir amené leurs enfants à cet endroit.  Certains adultes se sentaient responsables devant les parents des copains qu’ils avaient invités.
Les enfants, eux,  ne voulaient pas accabler leurs parents désorientés par leur propre détresse. Certains enfants avaient peur voyant les défaillances des adultes qui criaient sur d’autres adultes ou qui ne savaient pas par où s’enfuir.
Ces exemples montrent la charge de culpabilité et l’ampleur des angoisses de séparation provoqués par ces événements.
Le personnel de la Cellule de soutien médico-psychologique aussi avait vécu un traumatisme, puisque, le plus souvent, eux-mêmes ou leurs proches étaient sur les lieux. De nombreux soignants ressentaient le besoin d’aider et de vivre un moment de solidarité presque fusionnelle.
Nous avons toujours reçu les victimes à deux, ce qui permettait un bref échange entre nous  après chaque entretien. Dans la mesure du possible, un roulement était organisé, ce qui limitait la quantité des traumatismes à métaboliser. Tous ces éléments constituaient un soutien pour le personnel.
J’ai souvent pensé que les Cellules de Crise ne servaient à rien. Mais cette fois-ci j’ai fait l’expérience qu’on ne proposait pas seulement un moment de partage et de consolation, mais qu’offrait surtout un espace pour penser les événements.
Quelqu’un doit pouvoir entendre ce que l’horreur signifie pour chacun, individuellement. Avant tout, il faut accepter d’écouter, et parfois il faut dire que ni la tristesse, ni la souffrance, ni la peur ne pouvaient être évitées.
Un accueil ne suffit pas toujours.  Mais l’écoute peut aider les victimes à sortir de la stupeur et de penser quelque chose de l’événement factuel. Elle est un premier espace de symbolisation. Elle permet aussi aux personnes reçues de ne pas s’identifier de façon indifférenciée à toutes les victimes, mais d’affronter leurs émotions et leurs pensées parfois très personnelles.
Nous, psychanalystes, pourrions aussi réfléchir sur les modalités de cette écoute pour limiter les traumatismes des écoutants : quantité et contenu des récits ont tous les deux leur importance propre.
Nous avons certainement un rôle à jouer, non seulement pour écouter les victimes, mais aussi pour soutenir les soignants en première ligne. Nous pourrions mieux comprendre l’effet de cet espace de symbolisation pour les victimes comme pour les soignants.